Didier Ben Loulou

Marseille

Arnaud Bizalion Éditeur / le garage photographie, 2014

« Porter un regard singulier sur la ville de Marseille, ce serait une manière de prolonger mon travail tel que j’ai pu l’accomplir à Palerme, Jérusalem, Jaffa, Athènes, etc., soucieux là comme ailleurs de donner à voir les innombrables facettes d’une cité ; dans une lente progression au travers de la ville, vers sa périphérie, ses confins pour en comprendre la logique interne, loin de tout « cliché ». La photographie peut alors devenir la preuve d’un monde dans lequel le banal d’un littoral rencontre l’enfance des quartiers nord ; où l’Estaque, sous le soleil noir de l’été, est encore matière à poésie, à la rêverie, malgré le chômage, la déshérence d’anciennes usines devenues friches ou terrains vagues. Inexplicable et étonnante Marseille dont le secret est d’inventer chaque jour « le vivre ensemble », bizarre splendeur en un temps de fanatisme et de haines fratricides à quelques encablures de là, non loin de la mare nostrum. La photographie a toujours été pour moi à mi-chemin entre le réel et ses contingences ; volonté paradoxale de traverser le territoire d’une géographie affective, solaire, le Sud, de l’arpenter, en en détaillant chaque recoin, patiemment. Or la durée seule permet de découvrir ce qui est disséminé, inscrit dans le secret d’une rue, sur un mur, un visage. Je ne désire pas opérer de constat clinique, mais habiter la ville, m’imprégner de ce qu’elle a de multiforme, de composite, tant humain, urbain, qu’historique. C’est précisément parce que Marseille est unique et exemplaire qu’il convient de porter sur elle un regard autre, loin de ces images qui se contentent soit de montrer hâtivement des choses égarées dans un nœud d’impressions soit de véhiculer pieusement une idéologie. Ce travail sur la ville de Marseille, j’aimerais l’élaborer, comme il en a toujours été de mes projets, au cours de plusieurs séjours. Car ce projet-là, je ne peux le réaliser qu’en m’imprégnant des lieux et en y revenant, sans rien omettre du caractère impitoyable de la vie, de la complexité humaine. Cette ville, c’est aussi le bonheur de cette proximité avec la beauté de la nature : les calanques, les rivages calcaires que surplombent des HLM, source d’une nouvelle mythologie méditerranéenne. La photographie peut aussi naître de promenades au milieu des rochers, du miroitement de la mer, d’une pinède, regard intérieur tourné vers le paysage, matière et réminiscence d’une peinture étroitement liée à la lumière de cette région. Il s’agit donc de porter témoignage de la chose la plus simple (un fruit, un chemin secret au-dessus de la ville comme dans la poésie de Francis Ponge), mais aussi de me perdre dans l’intimité des quartiers de la ville, d’aller à la rencontre de l’humain pour mieux comprendre le rapport à l’autre dans ses enchevêtrements les plus complexes et contradictoires. »

Le livre Marseille est le résultat d’une résidence en 2012-2013 proposée par le garage photographie, lieu dédié à la photographie à Marseille.

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